Le point : « Après le coronavirus, quel nouveau Macron ? »

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La question reste taboue, mais les scénarios de sortie de crise doivent aussi intégrer une autre dimension : le déconfinement politique de l’exécutif.

Par Jérôme Cordelier

Acte 1 : Jupiter. Acte 2 : proximité et solidarité. Acte 3 ? Dans un Élysée bunkerisé, les tacticiens du président réfléchissent déjà à ce que pourrait être un « nouveau » Macron révélé par cette « guerre » sanitaire, économique et sociale. Depuis le début de la crise, épreuve cruciale de son quinquennat, le chef de l’État a voulu instaurer un dialogue direct avec les Français, en alternant dramaturgie républicaine et contact de campagne électorale – en respectant, autant que faire se peut, les gestes barrières. Ce 13 avril, pour la quatrième fois en un mois, Emmanuel Macron s’adressera solennellement à son peuple, et une fois de plus en chef de guerre, « mais aussi de paix », précise avec malignité un ministre, dans un pays sous grande tension. Une intervention télévisée soigneusement préparée depuis plusieurs jours, et comme d’habitude jusqu’à la dernière minute, en enchaînant les concertations avec le Premier ministre, les ministres en première ligne, les désormais incontournables experts scientifiques, et les rencontres les plus diverses. Des visiteurs auxquels le président Macron fait montre de sérénité – « L’État tient » – qui contraste avec l’agitation fébrile qu’il donne à voir en multipliant les visites sur le terrain, alors même que « Restez chez vous » est devenue la nouvelle devise de la République. Quitte même à brouiller la communication étatique, quand, par exemple, le chef de l’État en personne file à Marseille voir le professeur Didier Raoult, décrié par les autorités sanitaires, l’incontournable conseil scientifique et l’Académie de médecine.

Cette allocution du 13 avril doit-elle permettre de rendre plus lisible l’action de l’exécutif ? « Le chef de l’État a surtout à résoudre, dans un discours d’espoir, l’équation du maintien de la rigueur du confinement et de l’ardeur du déconfinement », glisse un ministre.

La souveraineté industrielle, une redéfinition de la puissance étatique, la relation d’un pays née des Lumières aux libertés publiques, l’avenir de notre démocratie face aux inclinations autoritaristes d’une partie de la société qui se manifestent concrètement avec le confinement… Pour le chef de la nation, et pour celui-ci en particulier, les sujets de fond que surligne cette crise ne manquent pas. On peut y distinguer quelques lignes de force pour l’avenir du quinquennat. « Le plan de relance économique conçu dans l’urgence indique déjà une volonté de meilleure maîtrise du destin du pays, décrypte un ministre. Et le président devra encore plus incarner la sauvegarde de la démocratie et une vision libre de la société, thèmes qui lui sont chers et qui ne sont pas incompatibles avec un État plus fort. » Mais faut-il d’ores et déjà fixer un nouveau cap, dans l’urgence de la situation, et ébaucher un nouvel axe au quinquennat ? Que sera le futur Macron qui émergera – ou pas – de cette épreuve cruciale de son quinquennat ?

« La question est prématurée, affirme au Point la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Certes, dans son discours du 12 mars, le président a souligné qu’il y aurait un changement de paradigme, l’après est en préparation, mais je vous assure que l’on n’en discute pas tous les jours. Nous sommes plongés dans la gestion d’un événement exceptionnel qui mobilise beaucoup d’énergies. » Cette crise impose, plus que jamais, au politique et à la technostructure qui le façonne une priorité : le pragmatisme. Au dernier conseil des ministres, alors que chacun donnait son avis sur les masques de protection respiratoire, le chef de l’État est intervenu pour trancher sans ambages : « Dans la tête des Français, imposer les masques pour tout le monde, cela signifie déconfinement. » Anecdote racontée par une participante afin de souligner le côté concret du président. « Emmanuel Macron est bien plus pragmatique que beaucoup se l’imaginent, précise cette ministre. Il a une capacité à appréhender un problème dans tous ses aspects, de façon globale, mais en connaissant très bien la vie quotidienne des gens. Peut-être cette crise va-t-elle révéler ce vrai Macron, celui qui, par exemple, peut dire très simplement, comme il l’a fait récemment, que c’est une erreur d’avoir laissé filer la production à l’étranger, en Chine notamment… »

« Coup » politique

La crise des Gilets jaunes et le grand débat national qui s’était ensuivi avaient montré l’urgence qu’il y avait pour un président omniprésent, omnipotent, le Jupiter du début du quinquennat, de descendre de son piédestal pour retrouver le chemin, la connexion avec « le pays réel ». Une prise de conscience sous la pression de la rue qui avait donné lieu au lancement d’un acte 2 du quinquennat, un coup de barre à gauche pour un pouvoir qualifié de droitier, en mettant l’accent sur plus de proximité et de solidarité – du moins dans les intentions. Une volonté mise à mal par les manifestations contre la réforme des retraites, et la paralysie du pays, et désormais torpillée par la crise du Covid-19 porteuse d’un autre virus : la menace autoritariste. Une pandémie historique à laquelle le président a choisi de faire face en chef de guerre, martelant un discours viril, se mettant en scène sur le front, dans les hôpitaux auprès des blouses blanches ou les uniformes kaki des médecins militaires mobilisés à Mulhouse. La perspective d’un confinement qui s’éternise au cours du mois de mai, et les angoisses d’une crise économique aussi forte que celle de 1929, selon la formule du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, se superposant même à la peur du virus, impose-t-elle d’axer davantage la communication en père de la nation, cajolant un peuple qui gronde ? La visite au professeur Didier Raoult, nouvelle idole des Gilets jaunes, le médecin d’en bas qui détiendrait le remède miracle au virus, mais serait contrecarré par les sommités d’en haut, à cette aune-là, est aussi à interpréter comme un « coup » politique.

Déconfinement politique

Les indices de confiance sont à la berne, à l’instar de ce sondage Ifop-Fiducial, pour CNews et Sud Radio, selon lequel 81 % des Français déclaraient que le gouvernement a caché des informations ; une claque pour un exécutif qui a fait de la « transparence » l’un des mots d’ordre de sa gestion de crise. Il y a urgence, dans ce moment clé du quinquennat, à raccrocher avec le peuple. Montrer qu’il est le président de la vie quotidienne. Un homme d’État pragmatique, donc. « Le président est très concentré, il fait preuve d’une vision à moyen terme, mais aussi se préoccupe des moindres détails, en faisant sans arrêt des allers et retours entre le général et le particulier, dit Sibeth Ndiaye. Je pense qu’il doit être l’un des rares à pouvoir citer le nom de toutes les entreprises qui fabriquent des masques en France… »

Au sommet de l’État, à Matignon et dans tous les ministères en première ligne, on phosphore bien évidemment sur les déconfinements sanitaire, éducatif, économique et social. Mais ceux-ci fatalement s’accompagneront aussi d’un « déconfinement » politique. « En sortant de la crise, il faudra que le président se réinvente, lâche un ministre. Un changement de ligne s’impose : le besoin de proximité sera encore plus fort, l’élément d’identité sera exacerbé, le rapport à l’État ne sera pas le même… Et les équipes auront besoin d’être renouvelées : il ne faut pas trop que nos mines à la télévision rappellent de mauvais souvenirs aux Français… Quelle que soit la donne. Souvenons-nous toujours que Churchill, alors même qu’il venait de vaincre l’Allemagne nazie, a été battu aux élections en 1945… » Pour l’instant, le « Churchill » auquel ont droit les Français, c’est celui de 40, celui qui ne pouvait promettre à son peuple dans la tourmente qu’un mot d’ordre : « Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. »